A l’occasion du 8 mars, Journée Internationale des droits des femmes, l’Abrapa a souhaité mettre à l’honneur celles qui représentent 93 % de nos effectifs et œuvrent au quotidien auprès de nos clients, patients et résidents.
Qu’elles travaillent au domicile des personnes aidées ou en établissement, sur le terrain ou au centre administratif, à un poste d’aide, de soin ou de management, dans le Bas-Rhin ou dans nos territoires, ELLES nous racontent leurs parcours et leur rapport au travail dans une série de portraits.
1. Petite fille, quel métier rêviez-vous de faire ?
C’est vaste ça, parce qu’il n’y en avait pas qu’un ! [rires] J’ai toujours été un petit peu originale donc j’ai voulu être trapéziste, styliste, écrivain et photographe. Ça a toujours été un petit peu dans le monde du spectacle ou de la représentation.
2. Votre parcours professionnel : ligne droite ou chemins détournés ?
Totalement détournés ! J’ai fait des tas de boulots très divers avec un seul point commun : la relation avec le public. J’ai été serveuse de restaurant, vendeuse, correctrice d’orthographe/textes, mannequin, photographe. J’ai été aussi mère au foyer pendant de nombreuses années puisque j’ai 6 enfants. Donc j’ai fait énormément de choses.
Je suis arrivée dans l’aide à domicile, quand les enfants ont grandi. Maintenant, il n’en reste plus que deux à la maison et j’ai emménagé il y a peu dans le Loiret. Cela va faire 4 ans au mois d’avril. Comme je suis quelqu’un de limite hyperactif, il fallait que je m’occupe la journée quand je n’avais pas de photographies à faire et que les enfants étaient en cours. Et je me suis dit « pendant des années, tu t’es occupée des enfants, de la maison, de l’administratif…enfin de tout quoi ! » Ce qui correspondrait le mieux ce serait quand même l’aide à domicile. Surtout que cela me permet d’adapter mes horaires en fonction des besoins des 2 enfants qui sont encore à la maison. Je crois que quand on a l’habitude de s’occuper des autres et qu’on aime ça, on reste dans cette branche après, même quand on reprend une activité en dehors de la maison. Je sais que c’est quelque chose dont j’ai besoin. J’ai besoin de relationnel, besoin d’apporter quelque chose aux autres, de les aider s’ils en ont besoin, de les consoler, de les réconforter. C’est dans ma nature. Donc j’ai déposé ma candidature à l’Abrapa et une semaine après, j’ai signé un premier contrat en tant qu’aide à domicile. C’était il y a 3 ans et demi. Puis, juste avant le premier confinement, je suis aussi devenue animatrice d’ateliers prévention pour l’Abrapa dans le Loiret après avoir été formée au sein de l’association.
La photographie c’est mon deuxième métier. Je suis photographe-auteur mais ça ne m’empêche pas de faire de l’événementiel, c’est souvent les week-ends ou les soirs. Donc je fais les deux. Il m’arrive de prendre quelques jours de congés au sein de l’Abrapa parce que je dois partir à 700 km pour faire un shooting photo d’un grand événement. J’ai fait une école puis après c’est un métier où l’on se forme tout le temps. Quand j’ai commencé c’était encore l’argentique avec les pellicules [rires]. Maintenant c’est du numérique, avec tous les logiciels, ça a bien changé. J’ai aussi un studio photo à la maison donc quand on me commande des portraits, je reçois les personnes pour les photographier.
Je suis spécialisée dans les chats. J’ai d’ailleurs 9 superbes chats ! C’est tout un métier de faire poser un chat en studio [rires]. Pour les éleveurs par exemple, qui ont besoin de belles photos pour leurs sites, on fait appel à moi. Avec mon conjoint, nous sommes aussi créateurs, propriétaires et administrateurs d’un forum de photographie qui est classé premier sur tous les moteurs de recherches en France. C’est un forum qu’on a créé il y a plusieurs années et qu’on a développé. Cela prend aussi pas mal de mon temps. Donc le soir, j’y passe bien 2 à 3 heures à travailler dessus en plus. On organise des sorties photos également avec d’autres photographes qui viennent de partout en France et même d’autres pays. Cela ne nous rapporte rien si ce n’est la satisfaction d’avoir créé quelque chose de grand qui rapproche les gens, c’est uniquement du bénévolat.
Je suis quelqu’un de bien occupée ! [rires] J’ai besoin d’être tout le temps occupée, je suis comme ça. C’est dans ma nature. Je déteste l’immobilisme.
3. Les trois mots qui résument votre métier aujourd’hui ?
En tant qu’aide à domicile : adaptabilité, empathie et le sang-froid. Surtout l’empathie parce qu’il faut essayer de comprendre les gens, de se mettre à leur place. C’est souvent ce que j’explique aux jeunes collègues qui arrivent qui nous accompagnent sur le terrain pour voir comment ça se passe. Il faut de l’empathie, il faut se mettre à la place des personnes que nous aidons. C’est très compliqué d’accepter de se faire aider, de se voir diminuer et d’accepter l’aide de quelqu’un pour des gestes anodins ou pour des soins d’hygiène corporelle. Ce que je leur dis souvent c’est « mettez-vous à leur place et essayez de les comprendre ». Et après bien sûr s’adapter, parce qu’à chaque fois ce sont des personnes différentes. Et comme elles vieillissent, la personne qu’elle était il y a 3 ans, n’est plus forcément totalement la même que maintenant. Parce qu’il y a des troubles cognitifs qui s’installent, parce que… la vie tout simplement. Souvent ce sont des personnes très isolées, très seules, donc elles ont des épisodes dépressifs, elles souffrent aussi bien physiquement que mentalement. Donc il faut s’adapter en permanence.
Pour l’animatrice, c’est pareil, il faut s’adapter aux personnes présentes. Il faut être conviviale évidemment. Et puis pédagogue bien sûr parce que ce qui est évident pour nous, ne l’est pas forcément pour les personnes que vous avez en face de vous. Il faut se mettre à leur place et essayer de les aider le mieux qu’on peut pour qu’elles comprennent ce qu’on leur demande, ce qu’on leur explique. J’animais déjà des balades photographiques donc ce n’est pas un domaine qui est nouveau pour moi.
4. Être une femme dans votre métier ça change quelque chose ou pas ?
En tant qu’aide à domicile, je pense que ça change quelque chose. Parce que les gens vivent encore avec de vieux clichés. Donc ils feront d’avantage confiance à une femme pour par exemple : préparer un repas, faire leur toilette, leur ménage, leurs courses… toutes les petites choses du quotidien. Ils vont partir du principe que ça sera mieux fait si c’est une femme qui le fait. Je dirais que paradoxalement par rapport aux autres métiers, là c’est aux hommes de faire leurs preuves dans l’aide à domicile. Tandis que si vous allez chez une personne, si vous êtes une femme, elle n’hésitera pas à vous confier son repassage. Si vous êtes un homme, elle va vous regarder un petit peu de travers [rires]. Après on commence à avoir des hommes dans l’aide à domicile, mais c’est vrai qu’il y a encore de vieux clichés là-dessus.
Pour ce qui est de l’animation des ateliers, je ne pense pas que ça change vraiment quelque chose. Parce que les personnes qui s’y inscrivent, elles attendent des choses bien précises de nous, que l’on soit un homme ou une femme. Donc ça n’a pas vraiment d’importance, ce qui compte pour elles ce sont nos compétences, nos aptitudes à répondre à leurs questions, notre capacité à résoudre leurs problèmes, etc… Donc là c’est encore différent.
5. Dans votre métier, vous êtes plutôt :
a. Tenace comme Hilary Swank dans Million Dollar Baby
b. Empathique comme Amélie Poulain
c. Battante comme Lara Croft
d. Exigeante comme Miranda Priestly dans le Diable s’habille en Prada
On peut en choisir plusieurs ? [rires]
Je dirais déjà battante et aventurière comme Lara Croft, puisque je déteste l’immobilisme et la routine. Et ce que j’aime aussi dans ce métier d’aide à domicile, c’est que j’ai une certaine indépendance et je bouge tout le temps. Je ne me vois pas du tout derrière un bureau toute la journée. Je crois que je ne pourrais pas du tout rester assise pendant des heures. J’aime l’aventure, rencontrer de nouvelles personnes, apprendre de nouvelles choses.
Empathique, forcément. Je dirais que déjà, c’est dans ma nature. Et puis je crois que c’est vraiment quelque chose d’important quand on est aide à domicile mais également dans la vie de tous les jours. Toujours se mettre à la place des gens pour mieux les comprendre et les aider. Si on n’est pas capable de se mettre à leur place et de comprendre pourquoi ils vont réagir de telle ou telle manière, on n’est pas bien dans ce travail.
Exigeante, oui parce qu’il est évident que la photographe, par exemple, est très exigeante. L’administratrice du forum photo, c’est quelqu’un de très exigeant aussi. Il n’y a pas de secret : si on a pas un minimum d’exigences dans la vie, on stagne, on n’avance pas.
Donc c’est vraiment un mix de tout ça. Quand on a autant d’activités, il faut être capable d’être un peu caméléon parce que sinon on ne peut pas faire autant de choses, et encore moins les réussir.
6. Pensez-vous avoir les mêmes perspectives d’évolution qu’un homme ?
Au sein de l’Abrapa, oui, parce que j’y travaille depuis 3 ans et demi, et en moins de 3 ans et demi, je suis devenue l’une des animatrices des ateliers de prévention par exemple. Donc c’est une évolution professionnelle qui a été rapide, même si je suis toujours aide à domicile en priorité. Je pense qu’à l’Abrapa on n’a pas ce souci qu’on pourrait avoir dans d’autres branches. Je pense qu’on peut y évoluer facilement qu’on soit un homme ou une femme. Si on a les compétences et l’envie, on peut y évoluer facilement.
Dans le monde du travail en général, là c’est différent ! Pour avoir fait pas mal de boulots, il y a des branches dans lesquelles de toute façon, on va vous mettre des bâtons dans les roues ou on va essayer de vous « renvoyer à la cuisine », comme je dis souvent. De toute façon étant donné que vous êtes une femme, on va forcément vous en demander plus, vous demander de faire d’avantage vos preuves parce qu’encore une fois, il y a des vieux clichés et qu’on vit encore dans une société patriarcale. Actuellement, il y a certaines branches, je dirais même la majorité des branches professionnelles où les perspectives d’évolution ne sont pas les mêmes que pour un homme. Ça c’est évident malgré les beaux discours que nous entendons parfois.
Il y a aussi le souci de la maternité. C’est vrai qu’un employeur, quand il doit embaucher une jeune femme, il y a tout de suite cette question de la maternité qui se pose. Parce qu’ils savent très bien qu’elle peut avoir des enfants donc être absente un moment de l’entreprise et pour beaucoup c’est un handicap professionnel. C’est interdit, mais on sait très bien comment ça se passe. Certes ils ne peuvent pas vous licencier mais vous êtes quand même freinée dans l’évolution professionnelle. Si vous avez été arrêtée X mois ou X années pour vous occuper de vos enfants, vous êtes freinée. Moi je l’ai vu quand j’ai commencé à vouloir retravailler. Quand je disais que j’avais 6 enfants, la personne en face changeait de couleur parce que cela voulait dire que de temps en temps, les enfants sont malades et que je pouvais être absente par exemple. Et je pense que ça c’est quelque chose qui n’est pas près de changer.
7. Si je vous parle rapport vie pro/vie privée, vous êtes plutôt :
a. Marmots, boulot, fourneaux
b. Running, working, shopping
c. Famille sous mon toit, emploi, temps pour soi
d. Accro au boulot
Là c’est pareil, il va y avoir un mix [rires] !
« Accro au boulot », oui, sans doute puisque je m’arrête qu’au moment où je vais me coucher [rires]. Donc oui « accro au boulot » et en même temps « running » car j’ai un rythme de vie qui est assez soutenu. Je suis rarement là les week-ends.
Et en même temps, « marmots » car mes enfants passent en priorité. S’ils ont besoin de moi, je pose tout et je suis là tout de suite ou ils me suivent souvent quand je pars en déplacement ou en voyage.
« Fourneaux », non parce que je suis pas une grande cuisinière et que je n’ai pas le temps [rires]. J’aime manger mais pas passer du temps en cuisine.
8. Dans votre vie professionnelle, avez-vous vécu des situations particulières liées à votre statut de femme ?
Par le passé, oui bien sûr comme toutes les femmes je crois. La vie des femmes dans la vie professionnelle, c’est un peu comme dans la vie sociale : un combat permanent. Dans la vie professionnelle, comme j’ai fait pas mal de boulots, j’ai été confrontée à des situations de harcèlement dans le cadre d’un travail. Forcément. Mais je ne crois pas que ce soit spécialement dans la vie professionnelle, je crois que c’est tout le temps comme ça. J’ai vécu toute mon enfance et mon adolescence à Paris. Quand vous êtes une jeune fille dans le métro parisien, vous n’êtes pas bien, je vous l’assure… Ça commence très, très tôt. J’ai 3 filles et 3 garçons. Un jour, j’ai été cherché ma fille la plus âgée à la maternelle, elle ne voulait plus mettre de robe… Parce que les petits garçons lui soulevaient sa robe. Ce qui est le plus fou, c’est que si c’est votre petit garçon qui fait ça, le réflexe de la famille, de tout le monde en fait, ça va être de rigoler en disant « oh bah dis donc quel coquin celui-là ». Mais on ne se met pas un instant à la place de la petite fille qui le subit, qui ressent ça comme une agression, une humiliation. Donc c’est toute une mentalité à changer, toute une éducation à refaire de ce côté-là parce que ça commence très, très jeune et que les parents ont un très grand rôle à jouer. Ce n’est pas normal qu’une petite fille de 4 ans soit déjà une proie parce qu’elle est née fille et qu’elle porte une jupe ! Imaginez que ce soit l’inverse : qu’un petit garçon se voit baisser son pantalon et se retrouve en culotte en pleine récréation, par une fille. On convoquerait les parents de la gamine tout de suite car on jugerait son comportement anormal, choquant. Quand un petit garçon soulève la jupe d’une fille, on trouve ça presque normal… Pour moi, il y a un gros problème là. Il n’y a pas qu’au niveau professionnel qu’il faut que les choses changent.
9. Retour dans le passé, quels conseils donneriez-vous à la jeune Isabelle qui débute ? Et à vos jeunes collègues ?
A Isabelle : croire en elle, ne pas avoir peur de dévoiler ses capacités, ne pas s’oublier non plus parce quand on a tendance à trop vouloir trop donner, on se fait manger après. Donc ne pas s’oublier pour garder du temps pour soi, c’est important je crois.
Aux jeunes femmes : pareil, il faut qu’elles croient en elles, qu’elles ne se laissent pas démonter par tous les diktats sexistes et machistes de la société. Il faut qu’elles aient confiance en elles, qu’elles ne se laissent pas rabaisser et surtout qu’elles ne l’acceptent pas. Elles ne sont pas des « sous-produits ». Là aussi c’est une question d’éducation mais les mamans ont tendance à être beaucoup plus exigeantes dans tous les niveaux avec leurs filles et à laisser beaucoup plus de choses passer avec leurs garçons. Pour les femmes, la barre est mise très haut dès le départ. Les jeunes femmes qui arrivent sur le marché du travail, pour peu qu’elles tombent sur un collègue qui aboie un peu plus fort que les autres, elles vont se sentir tout de suite rabaissées, humiliées mais le pire, c’est qu’elles vont penser qu’il est normal qu’on les traite ainsi, alors qu’elles ont les mêmes capacités, le même mérite et qu’elles n’ont pas à subir ça. Personnellement, tous ceux qui ont essayé les rapports de force avec moi s’en sont mordus les doigts. Je suis quelqu’un de très gentil mais si on me rentre dedans alors que ce n’est pas justifié, je me défends et je ne fais pas dans la dentelle. Je n’ai jamais hésité à quitter un emploi quand je ne m’y sentais plus à ma place.
10. Journée internationale des Droits des Femmes, pour vous, nécessaire ou pas ?
C’est plus que nécessaire parce qu’on vit toujours dans une société patriarcale, misogyne et sexiste. L’année dernière encore, les Françaises ont travaillé bénévolement du 3 novembre au 31 décembre. Comme tous les ans. Ce sont des dates qui sont calculées à partir de l’écart des salaires. En 2021, l’écart était estimé à 16.5%. Donc pendant plusieurs semaines c’est comme si les Françaises avaient travaillé gratuitement. Et ça c’est inacceptable. C’est quelque chose que l’on sait depuis des années, mais pour autant il n’y a pas de manifestantes dans les rues pour exiger une véritable égalité salariale, il n’y a pas de mouvement de grève pour protester et pour interpeller les gouvernements successifs. De temps en temps, il y en a 3-4 par ci par là et puis ça s’arrête. Vous imaginez l’inverse ? Si on disait aux hommes : « Messieurs, pendant un mois et demi, vous allez travailler gratuitement. C’est comme ça et pas autrement ! » Il y en aurait du monde dans les rues !
Il y a énormément de combats à mener pour les Droits des Femmes. Moi je suis toujours surprise quand on nous dit que tous les 2 jours et demi, il y a une femme qui meurt sous les coups de son conjoint. Et puis quand on allume la télévision et qu’on met le journal TV le soir, personne n’en parle. Tous les 2 jours et demi, je ne l’entends pas, je n’entends rien à la TV. Alors ils vont nous parler de la météo en ouverture de Journal comme si c’était la chose la plus importante. Mais pour moi la chose la plus importante serait de dire qu’aujourd’hui une femme a été tuée par son conjoint à chaque fois que ça se produit en ouverture du Journal. A force de l’entendre, peut-être que les gens arrêteraient de penser que c’est normal que ça arrive, c’est tout. On connait les chiffres mais c’est tellement normal que ça ne sert à rien d’en parler plus actuellement pour la société.
Il y a beaucoup, beaucoup de choses. Pourquoi les Droits de l’Homme et pas les Droits de l’Être Humain ? Je ne suis pas un homme, je suis une femme. Pourquoi quand on est un groupe composé de 2 hommes et 4 femmes, on va plutôt dire « ils » et pas « elles » ? Vous regardez un magazine, vous tombez en permanence sur des pages pour les crèmes antirides pour les femmes, les régimes etc…. Mais par contre on va dire qu’un homme « poivre et sel » avec des rides, il est sexy. La pression est toujours sur la femme. Ce sont des petits exemples, ça passe par des petites choses comme ça qui vous sont instillées dans le cerveau dès votre plus jeune âge.
On parlait de l’éducation des enfants. Les mères sont en grande partie responsables de tout ça. Quand elles élèvent leurs petits garçons, c’est à elles de leur enseigner le respect des femmes pour commencer. A elles d’apprendre à leurs filles, qu’elles ne sont pas que des filles. J’ai toujours trouvé cela insupportable qu’on dise à un petit garçon « tu pleures comme une fille ». Comme si le mot « fille » était une insulte. Non, moi je ne suis pas d’accord [rires] !
Si on faisait une liste, cela paraitrait énorme, toutes ces petites choses mises bout à bout, toutes ces petites différences. La petite fille qui doit être belle, ne pas faire de grimaces, pour rester jolie. Alors que le petit garçon, a le droit de jouer dans la boue, d’être agité. On offre des poupées aux filles et des pistolets aux garçons… Chacun a son moule et ne doit pas en sortir. Alors que l’on sait que ces différences de traitements accentuent et pérennisent les inégalités, on continue sur les mêmes modèles qu’il y a 200 ans. Non, ce n’est pas comme ça qu’il faut faire si on veut changer les habitudes et les mentalités.
Quand on voit un homme changer la couche de son bébé, tout le monde applaudit. Mais on ne va pas applaudir la femme qui le fait. Pourquoi ? [rires] Il n’y a pas de raisons d’applaudir un homme qui fait la vaisselle ou qui change une couche. C’est normal. Ce n’est pas un exploit, l’homme n’est pas un héros parce qu’il a étendu le linge ou donné un biberon, ce sont des choses normales !
L’égalité ce n’est pas seulement le salaire c’est aussi l’égalité de traitement dans la vie de tous les jours.
11. Vous vous réveillez homme demain matin, quelles sont les premières choses que vous faites ?
Je me dis « chouette plus besoin de m’épiler ! » [rires]
Plus sérieusement, je ne sais pas, parce que je n’envie pas la vie des hommes en fait. Dès leur plus jeune âge, ils sont plongés dans une espèce de compétition, les uns vis-à-vis des autres. Ça leur tombe dessus dès qu’ils sont tout petits garçons. Ils n’ont pas le droit de pleurer, pas le droit d’être sensible, « soit le plus fort mon fils, soit le meilleur ».
Qu’est-ce que je ferais si j’étais un homme demain matin ? Je crois que je prendrais un café et que je réfléchirais à tout ça. A ce que ce monde me demande de faire, d’être et si ça me rend heureux et bon envers les autres. Les femmes ont beaucoup de pression sur leurs épaules, mais les hommes en ont aussi énormément. Donc on peut défendre l’égalité entre les femmes et les hommes, sans que ce soit une guerre anti-hommes. J’ai des idées très féministes sur certains points mais je ne suis pas du tout anti-hommes parce que leurs attitudes, leurs comportements vis-à-vis des femmes sont en grande majorité le résultat de l’éducation qu’ils ont reçue, des expériences qu’ils ont vécues dès leur plus jeune âge au sein de la société, de l’école etc… C’est difficile aussi d’être un homme de nos jours : on leur demande de changer des comportements qui sont presque ataviques.
12. En finalité, être une femme dans la vie professionnelle : atout, mauvaise pioche ou joker ?
Dans certaines branches, c’est un atout. Par exemple dans l’aide à domicile, c’est vrai que les gens feront plus facilement confiance à une femme pour s’occuper du quotidien, en se disant que de toute façon « elle a l’habitude puisqu’elle le fait chez elle ». Dans certaines branches, ça va être plus compliqué. Si vous êtes une femme et que vous êtes déménageur, ça va être plus difficile parce que vous allez devoir faire vos preuves multipliées par 2 par rapport aux collègues masculins.
Ce n’était pas le cas de nos grands-mères, mais les femmes maintenant doivent être des super working girl, des mamans géniales et parfaites, puis quand elles rentrent à la maison le soir, elles doivent être les épouses aux petits soins pour le mari et pour la bonne marche de la maison. Donc elles ont tellement de rôles à porter que c’est parfois compliqué. Mais encore une fois je suis persuadée que c’est parce qu’elles le veuillent bien et que si elles tapaient du poing sur la table en disant stop, les choses changeraient aussi. Après il faut se battre ! Il ne faut jamais baisser la tête.
J’espère que les personnes qui me liront, comprendront que tous ces petits détails qui n’ont l’air de rien peuvent changer énormément de choses à la longue. Si on avait une génération qui commençait à éduquer ou même à parler autrement à ses enfants, les choses évolueraient peut-être plus rapidement.