Double "je" : portrait de Jessica

A l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes

Quel métier exercez-vous à l’Abrapa actuellement ?


Je suis secrétaire qualité au sein du service qualité depuis 2 ans à temps partiel. J’effectue des tâches administratives, la facturation du service, des enquêtes en collaboration avec les assistantes qualité (création, administration, recueil, dépouillement) et de la gestion documentaire.

En parallèle, je suis consultante en communication en freelance depuis 2 ans.

Petite fille, quel était votre rêve ? Ou quel métier rêviez-vous de faire ?


J’ai toujours dit que je voulais être dessinatrice ; j’aimais beaucoup dessiner quand j’étais enfant. En grandissant, mes aspirations ont un peu évolué, mais j’ai toujours eu une appétence pour les arts visuels.

Pouvez-vous nous présenter votre passion ?


L'art textile est une passion, ce n’est pas mon métier et je n’ai pas pour ambition d’en vivre. Cela me permet de garder une liberté dans ce que je fais. J’ai parfois des commandes spécifiques mais je n’ai pas de contraintes. Je sépare bien la partie art de ma profession.

Après le lycée, je voulais aller en mise à niveau arts appliqués pour m’orienter vers la publicité. L’aspect « créativité » m’intéressait déjà. Malheureusement, à Metz, les places de la classe étaient limitées à 15 et je n’ai pas été retenue. J’ai alors décidé de faire un DUT en techniques de commercialisation. Puis, je me suis engagée dans une formation à la faculté d’arts de Strasbourg : d’abord une licence de 3 ans en arts visuels puis un master de 2 ans toujours en recherche arts visuels. J’ai ensuite mis le pied dans la communication à travers l'organisation d'expositions d’art pour différents artistes. Je m’occupais de la partie scénographie, médiation culturelle, promotion commerciale et communication. J’ai également été chargée d’accueil et de communication pour une galerie d’art pendant 3 ans avant d’occuper d’autres postes dans l’assistanat marketing et communication. J’ai ensuite fait une VAE en communication pour valider mes acquis via un DUT.

Quand j’étais petite, j’aimais bien coudre. Aujourd’hui, dans mon art je travaille uniquement le textile. C’est en 3e année de licence que mon professeur d’atelier sculpture nous a demandé de n’utiliser qu’un seul médium pour répondre à un sujet. J’ai utilisé le textile et cela a été un peu une révélation. Le textile est un matériau super intéressant, en particulier parce que je fais des structures en volume, de la couture et de la broderie. C’est hyper malléable, on peut varier avec différents types de tissus, jouer avec la matière, avec la lumière qui se reflète sur le textile… c’est un matériau hyper riche. Quand j’ai commencé à développer ma pratique artistique autour du textile, je cousais uniquement à la main. Je suis passée à la machine à coudre parce que j’avais envie d’essayer, mais toujours en autodidacte. Je n’ai pas eu dans mon enfance d’éducation artistique particulière. Cela s’est vraiment développé quand j’ai décidé d’étudier les arts.

Je fais surtout des sculptures en volume de taille moyenne. Je m’intéresse depuis 10 ans aux normes de beauté, aux normes physiques imposées dans notre société occidentale (qu’est-ce qui est considéré comme beau/laid ? Etc.) ainsi qu'aux normes sexuelles et de genre. Donc je m’intéresse naturellement au sujet de la femme, de son objectification par la société de consommation et les valeurs capitalistes, le corps de la femme étant utilisé comme objet pour vendre.


Parmi les œuvres que j’ai réalisées, il y a une série de bustes en tissus que j’ai moulés sur des poitrines de femmes cisgenres de mon entourage, aux âges et aux morphologies variés, et non sur des mannequins de vitrine aux mensurations normées. Lors du moulage, j'ai entravé les seins selon le buste que je voulais fabriquer, puis j'ai travaillé les plis du tissu telles des cicatrices plus ou moins marquées. C’était un travail sur la réappropriation du corps après une ablation suite à un cancer du sein.

Je me suis intéressée à la pratique du tatouage en tant que démarche spécifique de modification corporelle lors d’une convalescence après un cancer du sein. Celui-ci a une fonction à la fois reconstructrice et esthétisante et est pratiquée sur des poitrines de personnes ayant subi une ablation partielle ou totale du/des sein(s), et ayant bénéficié ou non d’une reconstruction mammaire. Il participe au deuil d’un corps qui a été meurtri et permet une forme de renaissance, à la fois physique et psychologique. Je trouvais intéressant de questionner le tatouage dans ce sens-là : avec du fil et une aiguille, j'ai cousu un motif à la main sur la zone altérée ; tel un tatouage, je l'avais dessiné en fonction des personnes qui ont prêté leur poitrine.

Photos fournies par Jessica

Aujourd'hui, le tatouage touche toutes les classes sociales et tous types de populations. Par exemple, mon conjoint qui est tatoueur, a tatoué une dame de plus de 80 ans qui avait eu une ablation des seins. Cela faisait 30 ans qu’elle n'avait plus de vie intime car elle ne s’assumait plus. Un jour, elle a vu un documentaire sur les tatouages avec sa petite-fille qui l’a ensuite emmené dans un tattooshop pour cacher sa cicatrice avec un tatouage. C’était une renaissance pour elle. Je trouvais ce sujet très intéressant. J’ai exposé cette série plusieurs fois et toutes les pièces sont aujourd’hui vendues.

J’ai également participé à un autre projet autour du cancer du sein avec la Galerie Space Junk à Lyon qui organise chaque année le projet Venus. Ils font une séance de photos avec des personnes qui ont eu des cancers du sein. Plusieurs artistes de toutes pratiques sont ensuite invités à travailler sur les photos imprimées pour créer des œuvres qui sont ensuite vendues aux enchères au profit de la lutte contre le cancer du sein.


Il y a 10 ans, j’ai réalisé le projet « Mes hystériques » dans le cadre de ma soutenance de master et de mon mémoire sur la thématique des genres. L’idée était de sortir l’organe féminin pour décontextualiser l’utérus et le ramener au rang d’objet. Chaque utérus est accroché sur un cintre, a une taille différente et des étiquettes d’entretien récupérées sur d’autres vêtements. L’objectif était de parler de l’objectification de la femme, de ramener son corps et ses attributs sexuels à des objets de consommation, standardiser avec les différentes tailles et les présenter sur un portant comme des vêtements de prêt-à-porter. Dans mon travail, je questionne le corps mais plutôt des fragments de corps. Il y a une forme de distance un petit peu froide pour aller dans le sens de la femme qui est objectifiée dans notre société.

Photo fournie par Jessica

Une anecdote ? J’ai décroché il y a plusieurs années un entretien pour un poste de secrétaire et chargée de communication pour une école catholique. Ils m’ont envoyé les documents pour m’embaucher. J’imagine que le directeur avait dû chercher mon nom sur internet et a vu mon art. Le process de recrutement a été arrêté brusquement. Mon travail d’artiste dérangeait, alors que ce sont deux choses très différentes ; je fais bien la part entre mes missions pros et mon travail d’artistique. Mais je pense que du fait que ce soit une école religieuse, cela lui a posé problème. J’ai su par la suite que j’ai été recalée par ce directeur à cause de mon art, car j’ai posé la question à son successeur lors d’un second entretien pour le même poste. 

J’ai ressenti une sorte de discrimination, mais après vérification auprès d’un avocat, il s’avère qu’aux yeux de la loi, ce type d’action n’est pas considéré comme de la discrimination :  je n’ai donc rien pu faire. Avec du recul, je peux comprendre la décision du premier directeur. Cependant, je trouve qu’il aurait pu me dire la vérité. Avec la maturité et le temps, je me dis que si on ne me recrute pas à cause de mon art, c’est que le courant ne passera pas dans un sens ou dans l’autre.è

Je ne veux pas prendre de pseudo, car je ne veux pas cacher ce que je fais. Si mes œuvres interpellent, j’ai atteint mon but.

Quelle part représente aujourd’hui votre passion dans votre vie ?


Dans ma vie, ma passion occupe une part essentielle car elle est constante. En ce moment, comme je développe ma carrière freelance, je n’ai pas forcément « le temps de cerveau » disponible pour avoir des idées de créations. Quand je veux créer quelque chose, ça vient tout seul. J’ai une image dans ma tête mais je me garde toujours quelques mois pour laisser l’idée mûrir et prendre le temps d’y réfléchir. Et après je me lance, si j’ai le temps, si j’ai envie. Je ne m’impose pas de rythme. Dans ma vie au quotidien, j’ai déjà, comme beaucoup de personnes, une charge mentale et des choses à gérer… alors l’art ne doit pas être une pression. Avec mon emploi à l’Abrapa et mes missions en freelance, les journées peuvent être un peu longues.

Je participe à des expositions en fonction de leur sujet et je choisis ce que je veux exposer. Parfois on me contacte directement, parfois je postule et parfois j’organise moi-même des expositions. Je suis par exemple très fière des expositions d’art textile érotique (bien que je n’aime pas classer mon travail dans des catégories) auxquelles j’ai participé dans des galeries d'art à Los Angeles et Palm Springs via une commissaire d'expositions qui m'avait contacté sur Facebook. Autre exemple, une personne qui travaille à la bibliothèque Marguerite Durand à Paris (une bibliothèque sur l'histoire des femmes, du féminisme et du genre) a fait l’acquisition d’une de mes œuvres pour sa collection, en voyant mon travail sur internet. J’ai par ailleurs plusieurs fois essayé d’intégrer des collectifs d’artistes textiles, mais je n’ai pas été retenue car ils trouvaient que mon sujet était « dur à montrer » et que je n’aurai pas assez de visibilité par rapport à d’autres.

Que vous apporte votre passion sur le plan personnel et/ou professionnel ?


Ma passion m’apporte une forme d’épanouissement. Elle me permet d’exprimer des choses et de les communiquer. C’est mon moyen de communication de prédilection.

Ma pratique artistique m’a immergé dans le milieu de l’art et la culture, ce qui m’a amené à organiser des expositions pour d’autres artistes. J’ai donc mis un pied à l’étrier à tout ce qui se rapporte aux objectifs commerciaux et de communication. C’est comme ça que j’ai acquis des compétences en communication, que j’ai fait ma VAE et que je suis aujourd’hui consultante communication en freelance : tout est un peu lié.

Les compétences communes que je mets à profit à la fois dans ma passion et dans mon métier sont la rigueur et le sens du détail, faire le mieux possible et me donner à fond.

Trois mots pour résumer votre métier, trois mots pour résumer votre passion ?


  • Métier : qualité, écoute, conscience professionnelle.
  • Passion : questionnement des normes, textile, mon âme.

Y-a-t-il une ou des femmes qui vous inspirent particulièrement ?


J’ai beaucoup d’inspirations. Deux artistes femmes que j’adore sont :

  • ORLAN : une artiste contemporaine aux pratiques artistiques plurielles, qui travaille beaucoup autour de la place de la femme dans la société et qui questionne le Beau.
  • Niki de Saint Phalle : une artiste pluridisciplinaire autodidacte (sculpture, performance, peinture) qui a développé son art autour des nombreux combats qu'elle a mené dans sa vie.

Deux féministes, deux femmes engagées, deux femmes fortes. Leur travail artistique me touche et me parle, et j’aime bien leur côté « guerrière ».

Être une femme dans votre métier/votre passion ça change quelque chose ou pas ?


Dans mon métier à l’Abrapa, cela ne change rien d’être une femme. A mon niveau, je ne vois pas de différences entre genres.

Dans ma passion, les questions que je me pose sont : « pourquoi beaucoup d’artistes textiles sont des femmes ?  Est-ce que le textile est un attribut féminin ? Est-ce que j’utilise le textile parce que je suis une femme ? ».

Dans mes œuvres, je traite des sujets que je connais. Je ne m’approprie pas des sujets qui ne me concernent pas. Ma pratique est liée au fait que je suis une femme. Si j’étais un homme, je m’intéresserais peut-être à ces sujets. En tout cas, je pense que je m’intéresserais aux normes de beauté, de sexualité, etc… mais peut-être pas par le prisme du corps féminin.

Journée internationale des Droits des Femmes, pour vous, nécessaire ou pas ?


Oui, elle est nécessaire. Rien que le fait qu’il y ait une journée qui existe, montre qu’il y en a besoin. Rien n’est jamais acquis ; Preuve en est l’ajout du droit à l’avortement dans la Constitution qui réveille certaines formes de haine et de défiance. Dans le monde, les droits des femmes ne sont jamais acquis, tout comme ceux des personnes transsexuelles ou homosexuelles par exemple. Nous devons défendre leurs droits car ils peuvent trop rapidement être bafoués.

Vous vous réveillez "homme" demain matin, quelles sont les trois premières choses que vous faites ?


Je prends mon café car j’ai besoin de mon café le matin (rires).

Je me maquille comme d’habitude car les hommes peuvent être maquillés s’ils veulent.

Puis je continuerais ma journée normalement et je verrais ce qu’il se passe.


Vous pouvez découvrir les œuvres de Jessica sur Facebook : www.facebook.com/preisj

Visuel principal : photo fournie par Jessica

Contactez-nous

Être rappelé

Carte interactive

Nous rejoindre